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  • Photo du rédacteurSébastien G.

LES RÂMEN ラーメン

Dernière mise à jour : 11 janv. 2021

Japanese food or not Japanese food ? Casse-croûte ou gastronomie ? Traditionnel ou non ?


Les Râmen ラーメン sont des nouilles à base de blé, tout comme les Udon うどん, les Sômen 素麺 et les Kishimen きしめん. Elles se distinguent des autres nouilles par leur pâte qui est pétrie avec de l'alcali dissout dans de l'eau salée, ce qui leur confère plus d'élasticité, une couleur jaune pâle particulière ainsi qu'un arôme bien spécifique.


Un bol de Râmen se caractérise par :

  • une base salée appelée Tare タレ ou Kaeshi かえし [Shôyu 醤油 (sauce soja), Miso 味噌, Shio 塩 (salé), Karee カレー (curry japonais)]. Cette base vient donner la tonalité gustative sur laquelle s'établit le Râmen.

  • un bouillon, Dashi 出汁. Chaque restaurant, chaque cuisinier à sa propre recette ; c'est ce bouillon qui va donner sa particularité au plat.

  • un corps gras [huile de Niniku ニンニク (ail), huile de Negi ねぎ (ciboule), huile de sésame, saindoux, graisse de poulet, graisse de porc[1], etc.].

  • des nouilles de blé dont nous avons évoqué les caractéristiques plus haut. Elles peuvent être fines, épaisses, larges, droites ou ondulées (généralement les nouilles ondulées seront utilisées avec des bouillons légers tandis que celles droites seront associées à ceux épais).

  • des garnitures [Châshû チャーシュー (tranches de porc braisées), œufs mollets ou marinés, ciboule, Menma メンマ (pousses de bambou fermentées), champignons, beurre, maïs, algues, Narutomaki 鳴門巻き (pâté de poisson, cuit à la vapeur que l'on découpe en fine tranche. De couleur blanche et avec une spirale rose à l'intérieur, sa fonction est avant tout de décorer le plat), etc.].


De nos jours, si l'on demande à des Français de nommer des plats de la cuisine japonaise une majorité d'entre eux vous parleront de sushis 寿司 et/ou de Râmen.

En quelques années ces nouilles de blé servies dans un bouillon et accompagnées de garnitures, sont devenues pour beaucoup des incontournables, au point qu'une part conséquente des restaurants dits "japonais" aient revus leurs cartes pour les y intégrer.

Pourtant, ce phénomène est loin de refléter la réalité de ce plat. Et, si l'on disait à des Japonais que les Râmen sont un plat qui représente les traditions culinaires de leur pays, beaucoup en seraient dépités voire, effarés.


Il faut dire que les Râmen sont au Japon ce que le sandwich "jambon-beurre" est à la France. C'est l'archétype du repas populaire ; un "casse-croute" que l'on mange sur le pousse dans un petit restaurant de quartier ou, en version instantanée, au bureau aussi bien qu'à la maison.

Imaginez la tête d'un Français si on lui disait que le plat le plus représentatif de sa cuisine était le "jambon-beurre" ; un aliment qu'il catégorise volontiers et avec une pointe de réprobation de : "malbouffe"...


Mais au fait, d'où vient ce plat dont les Japonais écrivent bien souvent le nom en Katakana 片仮名[2] ?

Shu Shunsui 朱舜水 (1600-1682)
Shu Shunsui 朱舜水 (1600-1682)

Il est probable que le mot "japonais" Râmen dérive du terme chinois "Lâ miàn" 拉麺 (nouilles étirées).

De fait, les Râmen sont des nouilles d'origine chinoise. Selon la légende, elles auraient été préparées pour la première fois au Japon par SHU Shunsui 朱舜水 (1600-1682)[3], un érudit confucéen d'origine chinoise. Celui-ci les aurait cuisinées pour TOKUGAWA Mitsukuni 徳川 光圀 (1628-1701), le seigneur du domaine de Mito 水戸藩 (son territoire couvrait une grande partie de l'actuelle Préfecture d'Ibaraki 茨城県). C'est l'origine des célèbres Mitohan Râmen 水戸藩らーめん (Râmen du clan Mito), qui revendiquent encore aujourd'hui leur primauté historique au Japon...


Malgré cette introduction au 17ème siècle, il faudra attendre l'ère Meiji 明治時代 (1868-1912) pour que les Râmen s'implantent de façon définitive dans l'archipel.

Cette implantation se fera d'abord dans les ports du Japon où se trouvait une forte présence de travailleurs (dockers, etc.), étudiants et commerçants chinois[4].

Cette communauté d'immigrés apportera ses plats dont un bouillon de nouilles, rudimentaire, mais consistant (il s'agissait principalement de nourrir des personnes exerçant un dur labeur dans les ports et les industries environnantes). Appelé alors Shina Soba 支那蕎麦 (Soba de Chine), Chuka Soba 中華そば (Soba chinoise) ou Nankin Soba 南京そば (Soba de Nankin), les nouilles de blé y étaient servies dans un bouillon à base de porc et de sel[5].


L'année 1910 marque un tournant dans l'histoire de ce plat. Un japonais, du nom d'OZAKI Kanichi 尾崎 貫一 (1858-1922), a l'idée de recruter des cuisiniers chinois de Yokohama et d'ouvrir à Tôkyô 東京 dans le quartier d'Asakusa 浅草 un restaurant où il proposera des plats chinois adaptés aux goûts des Japonais. Ce restaurant il l'appellera Rairaiken 来々軒[6].


OZAKI Kanichi 尾崎 貫一 (1858-1922) habillé à la mode chinoise
OZAKI Kanichi 尾崎 貫一 (1858-1922) habillé à la mode chinoise

Le succès est au rendez-vous. C'est le début de l'adoption et de l'appropriation de ce plat par les Japonais. Les ingrédients s'enrichissent, le bouillon change, se japonise et devient à base de sauce soja. C'est l'invention du Shôyu Râmen 醤油ラーメン (Râmen servi dans un bouillon à base de sauce soja)...


Le restaurant Rairaiken 来々軒 d’Asakusa 浅草 à Tôkyô 東京, à la fin l'ère Meiji  明治時代 (1868 - 1912)
Le restaurant Rairaiken 来々軒 d’Asakusa 浅草 à Tôkyô 東京, à la fin l'ère Meiji 明治時代 (1868 - 1912)

La fin de la 2nde Guerre Mondiale (1939-1945) et avec elle de l’expansionnisme japonais en Asie, le rapatriement des troupes expéditionnaires en Chine ainsi que des anciens colons japonais seront les principaux vecteurs de l'assimilation et de la diffusion des Râmen dans l'archipel.

  1. A leur retour, certains de ces anciens soldats japonais ainsi que d'anciens colons, vont se reconvertir et ouvrir des échoppes proposant à la vente des nouilles servies dans un bouillon, des "Râmen", telles qu'ils avaient appris à les faire lorsqu'ils étaient dans l'Empire du milieu.

  2. Dans l’immédiat après-guerre, le Japon doit faire face à de grandes pénuries alimentaires. Il n’y a notamment plus assez de riz pour nourrir la population (la récolte est mauvaise et le Japon ne peut plus s'appuyer sur les pays d'Asie qu'il avait conquis autrefois). Une aide alimentaire, sous forme blé va être massivement apportée des Etats Unis. La population japonaise affamée va se jeter sur cette denrée à bas coûts et tous ses modes consommations. Les Râmen dont les nouilles sont à base de blé n'y échapperont pas.

  3. La préparation Râmen nécessitent peu de matériel et d'ingrédients (de l'eau, des nouilles, quelques garnitures et de quoi faire cuire le tout). Dans un pays où une bonne part des constructions ont été réduites en cendres par les bombardements américains[7], c'est une aubaine pour les Yatai 屋台 (petit étal ambulant de restauration) qui sont en plein essor à cette époque[8].

  4. Plat chaud, économique, et nourrissant, aussi rapide à préparer qu'à consommer, les Râmen vont faire figure de nourriture idéale dans un pays en ruine et qu'il faut vite reconstruire.


Les Râmen sont facilement déclinables en jouant et en faisant varier les 5 éléments caractéristiques que nous avons déjà cités au début de cet article :

  • le Tare.

  • le bouillon, sa texture [Assari あっさり (léger) ou Kotteri こってり (gras)] , sa température [Atatakai 温かい (chaud) ou Hiyashi 冷やし (froid)], etc.

  • le corps gras.

  • la forme des nouilles ainsi que leur fermeté [Yawarakame 柔らかめ (molles/fondantes), Futsû 普通 (normales), Katame 硬め (fermes)].

  • les garnitures.

L'adaptation aux goûts et aux particularismes culinaires régionaux, ajouté à la concurrence toujours plus créative que se livreront les Yatai aboutira à la multitude de formes que nous pouvons constater aujourd'hui.

Chaque région du Japon à son Râmen et il y en a pour tous les prix[9].


Quelques Râmen iconiques du Japon
Quelques Râmen iconiques du Japon

Ultime étape dans la conquête du pays les inventions en 1958 des Instanto Râmen インスタントラーメン (nouilles Râmen instantanées) et en 1971 des célèbres "Cup Noodles" カップヌードル (nouilles instantanées en pot individuel jetable) par ANDÔ Momofuku 安藤百福 (1910-2007)[10]. Il suffit alors d'ajouter simplement de l'eau bouillante à une préparation pour obtenir son "bol" de Râmen et le consommer. Rendant la consommation de Râmen, faciles à toute heure de la journée et quel que soit l'endroit, ces 2 innovations permettront au Râmen d'asseoir définitivement leur popularité au Japon puis, à l'international.


A l'origine, plats roboratifs des classes populaires, les Râmen ne sont donc pas d'origine japonaise. Mais, comme bien souvent dans leur Histoire, les Japonais ont su les retravailler, se les approprier pour ensuite les sublimer.

SG

Un grand merci au Shin-Yokohama Râmen Hakubutsukan 新横浜ラーメン博物館 (Musée du Râmen de Shin-Yokohama) pour sa bienveillance ainsi que le prêt des photos de M. OZAKI Kanichi et de son restaurant Rairaiken d'Asakusa à l'époque Meiji. Si vous avez l'occasion de vous rendre au Japon, n'hésitez pas à le visiter : https://www.raumen.co.jp/


 

[1] Par exemple, les Tonkotsu râmen 豚骨ラーメン, aussi appelées Hakata râmen 博多ラーメン(Hakata est le nom d'un quartier de la ville de Fukuoka 福岡. Autrefois, Hakata était la capitale de l'île de Kyûshû 九州), connues pour leurs aspects dense et riche, sont préparées en cuisant doucement des os de porc pendant de longues heures. Durant la cuisson, la chaleur va d'abord faire fondre la graisse et la chair de l’animal restant sur les os. Ensuite, l’eau en bouillonnement décomposera le collagène des os permettant ainsi d'obtenir une sorte de gélatine qui s'intégrera à l'eau du bouillon.

[2] Les Katakana 片仮名 sont 1 des 2 syllabaires utilisés par les Japonais. Ils servent généralement à transcrire des mots d'origine étrangère.

[3] Exilé au Japon depuis la chute de la dynastie Ming 明朝 (1368-1644), il est connu en Chine sous le nom de Zhu Zhiyu 朱之瑜. Invité à Mito par TOKUGAWA Mitsukuni, il y enseigna le confucianisme et de nombreuses techniques chinoises.

[4] En 1858, le Japon est contraint par les Etats-Unis, l'Empire Britannique, la Russie, la France et les Pays-Bas de signer les "Traités inégaux" 安政の仮条約 (Ansei no karijôyaku). Ces traités engagent le Japon à :

  • Recevoir des diplomates desdits pays.

  • Ouvrir au commerce international les ports d'Edo 江戸, Kôbe 神戸, Nagasaki 長崎, Niigata 新潟 et Yokohama 横浜 .

  • Accepter que des citoyens étrangers vivent et commercent dans ces ports.

  • Accepter l'assujettissement des résidents étrangers aux lois de leurs juridictions consulaires propres (les ressortissants des pays étrangers signataires de ces traités n'étaient donc pas soumis à la loi japonaise).

  • La mise en place de droits de douane faibles sur les importations. Ce faisant, le Japon était privé du contrôle de son commerce avec les puissances étrangères et de la possibilité de le protéger.

Les marchands chinois autrefois cantonnés au port de Nagasaki en profiteront pour s’installer rapidement à Kôbe, Yokohama et d’autres villes du littoral japonais d’où ils commenceront à exporter vers la Chine.


[5] En langue japonaise, le terme soba (そば / 蕎麦) peut désigner :

  • Des nouilles de sarrasin. ou

  • Des nouilles de calibre fin par opposition à celui, gros, des Udon. Les soba de sarrasin étant les seules nouilles de ce calibre au Japon avant l'arrivée d'autres variétés, les Japonais se sont mis à employer ce terme par métonymie pour parler des nouilles de format identique. Dans ce cas, il est donc uniquement question du format de l'aliment et non de sa composition.

[6] Selon le Shin-Yokohama Râmen Hakubutsukan, l’étymologie du nom Rairaiken 来々軒choisi par OZAKI Kanichi s'explique de la façon suivante :

  • En langue japonaise, "Ken"「軒」est un suffixe pour compter les bâtiments. A l'époque où OZAKI ouvre son restaurant, ce suffixe était souvent utilisé dans les noms des restaurants de cuisine étrangère...

  • "Rairai"「来々」signifie que les clients et la fortune viendront. Le Shin-Yokohama Râmen Hakubutsukan précise dans ses explications que ce mot pouvait, pour des oreilles japonaises, faire penser à la Chine de par sa sonorité.

Le restaurant Rairaiken du quartier d'Asakusa à Tôkyô restera ouvert jusqu'en 1944. En 1945, après la 2nde Guerre Mondiale, la famille OZAKI ouvrira un nouveau restaurant Rairaiken, au niveau de la sortie Est de la Gare de Tôkyô 東京駅 (Tôkyô Eki). Le restaurant déménagera en 1965 pour le quartier de Uchi Kanda 内神田 au Nord de l'arrondissement Chiyodaku 千代田区 à Tôkyô. Il y restera jusqu'à sa fermeture en 1976.

Rairaiken est un nom familier de tous ceux qui fréquentent les restaurants situés dans le quartier de la rue Sainte Anne à Paris.

Situé au numéro 7 de ladite rue, le restaurant "Laï Laï-Ken" 来々軒 (enseigne du groupe KEN COMPANY qui regroupe dans le même quartier les enseignes : Kintarô, Menkichi, Hokkaidô, Happatei, Guibine, Naniwa-ya, You) est plus qu'un clin d’œil au restaurant japonais fondé par OZAKI Kanichi à Asakusa. Il va même jusqu'à en reprendre le concept. En effet, au risque de créer quelques confusions chez les non-initiés (qui bien souvent pensent y trouver de la cuisine japonaise) "Laï Laï-Ken" a pour objectif assumé de reproduire à Paris, le goût des plats chinois tels que les Japonais ont l'habitude de les consommer dans leur pays.


[7] On estime aujourd'hui que les bombardements stratégiques de l'armée américaine ont détruit environ 40 % de la superficie des 66 villes qui en ont été victimes.


[8] La vente de nourriture dans les rues était pourtant interdite, afin d’éviter le contournement du rationnement mis en place par le Gouvernement japonais pendant la guerre. Après la défaite de 1945, malgré le maintien de cette interdiction par les autorités américaines, beaucoup de propriétaires de Yatai réussirent à maintenir leur activité et à se fournir en farine de blé grâce au marché noir et à la protection des Yakuzas ヤクザ (groupes/familles du crime organisé au Japon).

Avec le temps et la reconstruction du pays ces Yatai se sédentariseront. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, il y a une échoppe de Râmen quel que soit le quartier de la ville du Japon où l'on se trouve.


[9] Si le prix d'un Râmen au Japon se situe entre 500JPY (~4€) > 1200JPY (~9,5€), il est possible d'en trouver à 300JPY (~2,4€) tandis que d'autres, "rares", seront à 10 000JPY (~79€).


[10] ANDÔ Momofuku né Gô Peh-hok 吳百福, voit le jour sur l'île de Taïwan, alors que celle-ci se trouve sous la domination de l'Empire du Japon (ANDÔ obtiendra la nationalité japonaise après la Seconde Guerre mondiale). En 1957, après avoir connu des hauts et des bas dans différentes activités, ANDÔ perd la quasi-totalité de ses biens. Dans la précarité, il se remémore alors, un épisode qui l’avait marqué lors de la crise alimentaire qui avait suivi l'immédiat après-guerre : une scène de marché noir près de la gare d'Ôsaka 大阪, une file interminable de gens attendant leur tour dans le froid pour avaler un bol de Râmen. Il réalise que chez les êtres humains le besoin de se nourrir passe avant tout et que les Râmen sont un aliment très populaire auprès des Japonais.

Il se lance seul dans à la fabrication de Râmen faciles à préparer, à consommer et à conserver. Ce projet aboutira notamment à la création des nouilles instantanées et des "Cup Noodles", qui changerons la façon de se nourrir de millions de personnes sur la planète.

Il est le fondateur de la société Nissin Food Products Co., Ltd. 日清食品株式会社 bien connue des amateurs de Râmen...


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